INSURRECTION , RIZ , ESPOIR ET FAUCON NOIRŠ Sur les 10 dernières années d'interventions militaires, celle de la Somalie passe souvent à la trappe dans les analyses géopolitiques. Prenons ici l'occasion d'y revenir. Ce texte a été écris au printemps 2001, mais aujourd'hui ne parle-t- on pas de la somalisation de l'Irak... De Restore Hope à La Chute du Faucon Noir, on n'a trop souvent connu la Somalie que sous la lumière, heureuses ou malheureuses, des interventions occidentales. Pour le reste, n¹est dépeint qu¹une zone de barbarie, sujet de tous les fantasmes. Pourtant, l¹état de la Somalie est le fruit d¹un long processus, d¹exacerbation de contradictions, de montée en puissance d¹intérêts opposés, et de volonté du respect de développement maintenant convenu comme unique et indépassable de ce monde. A partir de 1969, Siad Barré s'installe au pouvoir, dès lors, la Somalie se retrouve dans le camp de l¹URSS au niveau de la stratégie internationale de l¹époque. Ensuite, vers la fin des années 70, devant l¹impossibilité de fédérer les Etats d¹Erythrée, d¹Ethiopie, de la Somalie et du Yémen du Sud (trop de concurrence de pouvoir), l¹URSS misa sur le régime de Mengitsu en Ethiopie. Ce qui amena un rapprochement de la Somalie et de l¹Occident (pour illustrer ce revirement, la police allemande put prendre d¹assaut un avion détourné réclamant la libération des prisonniers de la RAF, mal inspiré d¹atterrir à Mogadiscio. Dès lors la contre-offensive éthiopienne ne devait plus inquiéter la Somalie). La Corne de l¹Afrique est un endroit stratégique, c¹est le principal parcours du pétrole vers l¹Occident. C¹est aussi un débouché sur la mer Rouge que convoitent les forces arabes (avec l¹Arabie Saoudite alliée des USA), Israël (qui ne veut pas que la mer Rouge soit un « lac arabe ») et les deux grands de l¹époque. Jusqu¹en 1990, l¹URSS est bien placée avec les régimes africains et le Yémen du Sud « marxiste-léniniste » . Malgré tout, la Somalie connaît, comme partout dans le monde, une vague de restructurations durant les années 80. La Somalie restée quasiment autosuffisante du point de vue alimentaire jusqu¹à la fin des années 70, économie arriérée du point de vue de la concentration du capital puisque encore fondée en partie sur l¹échange entre nomades et petits agriculteurs ; la Somalie au début des années 80 s¹engage dans un plan d¹austérité dicté par le FMI et la Banque mondiale. Passée dans le camp du « capital libre », la Somalie se retrouve dès lors dans des plans de développement au modèle, au moule, des cadres du capitalisme. C¹est aussi le meilleur moyen pour vassaliser un Etat, ce qui dans la Corne de l¹Afrique avec l¹Ethiopie et le Yemen du Sud (bon élève marxiste-léniniste), plus quelques îles bien placées aussi sous contrôle « soviétique », est un enjeu important pour les USA. L'Etat somalien doit rembourser sa dette contractée auprès du Club de Paris, de la Banque mondiale, et du FMI. Et surtout moderniser l¹Etat et les rouages du capital, pour que cette partie du monde soit elle aussi plus  « rentable ». Ainsi l¹aide alimentaire augmente de 31% par an de 1975 à 1985. L¹agriculture traditionnelle en prit un coup, et l¹agriculture dédiée à l¹exportation fut encouragée. C¹est l¹objectif avoué du FMI, détruire les petits élevages (la forme de vie traditionnelle dans l¹Afrique subsaharienne) pour concentrer la production dans de grands élevages. C¹est ce que la Banque mondiale nomme « ajuster la taille des troupeaux ». En 1984, les exportations de bétail vers l¹Arabie Saoudite chutent, l¹Arabie se tourne vers l¹Europe et l¹Australie, ce qui accentuera la dépendance de la Somalie vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux. Pour survoler, on arrive à la fin des années 80 dans une situation où le pouvoir tient de façon factice, la Somalie vit de ce qu¹on appelle la « pension alimentaire » dispensé par le HCR. L¹urbanisme augmente et l¹Etat est de moins en moins reconnu comme régulateur social. Les traditionnelles communautés sociales se sont fait laminer par la famine et la modernisation, c¹est-à-dire par l¹Etat et l¹économie. Avec l¹éclatement de l¹URSS et la fin de la guerre froide, l¹équilibre convenu n¹est plus. Dès le début des années 90, vont donc se dérouler des conflits qui découlent de ce nouvel état de fait. Situation nouvelle, problème resté de l¹ancienne partition, etc., le plus connu pour nous est la guerre du Golfe, le plus récent la campagne d¹Afghanistan. Sans perdre sa position géostratégique, la Corne de l¹Afrique est un instant délaissée. D¹abord parce que faute de concurrence, il y a moins d¹intérêt à défendre. Et puis il y a d¹autres chats à fouetter, le Koweït et l¹Irak en l¹occurrence. « On ignore qui dirige la rébellion en cours dans la capitale. » Libération, le 1er janvier 1991. Le pouvoir de Siad Barré est concrètement tombé le 26 janvier 1991, par la prise de la villa Somalia (QG du président) par la foule et la fuite de Siad Barré. Le 26 janvier 1991, cela faisait 10 jours que l¹ultimatum US à l¹Irak avait expiré, déjà 10 jours d¹offensive aérienneŠ Bien entendu Siad Barré n¹a pas fui ainsi d¹un bon matin. A partir de 1988/89 les mécontentements se font entendre et les explosions sociales se succèdent. L¹année 1989 a été un fort moment de contestation au régime et de troubles dans les rues. Le 14 juillet de cette année-là, Mogadiscio fut le théâtre d¹importantes manifestations, fortement réprimées (plus de 400 morts). Le 6 juillet 1990 Siad Barré est conspué lors d¹un match de football. La garde présidentielle tire dans la foule et fera de 7 à 62 morts. Cela préfigure certainement ce qui va se passer plus tard. DU 2 au 5 décembre 1990, c¹est l¹insurrection dans les faubourgs de Mogadiscio. C¹est l¹arrivée de la guérilla de l¹USC (qui jusque-là n¹avait aucune position à Mogadiscio) qui ramène l¹ordre. Le 30 décembre éclate à nouveau une émeute lorsque l¹armée tente une incursion dans les banlieues de Mogadiscio. Nous sommes alors dans une situation de guerre de positions entre les guérillas et l¹armée (déjà désertée à 85%). Pour autant les guérillas sont bien incapables d¹encadrer les populations dans les quartiers qu¹elles tiennent. Ainsi depuis le mois de décembre 1990, Mogadiscio est en situation d¹insurrection. Les guérillas contre Siad Barré, l¹opposition au régime pour la plupart réfugiée en Ethiopie, ont aussi intensifié leur offensive surtout au nord du pays. Mais le plus marquant est qu¹à cette période personne ne contrôle rien dans le pays. Le ras-le-bol est général, mais pas du tout cadré par une organisation, un chef charismatique, un caïd de guerre ou un clan. L¹Etat n¹est plus là, au point que son remplaçant non plus ! L¹émeute et la rage éclatent donc, et ce n¹est qu¹une fois l¹ancien pouvoir complètement destitué que la concurrence se fera, dans la guerre, chacun essayant de stabiliser et d¹accroître sa sphère d¹influence. Et cela sur le dos et dans le sang de population. Pour décrire l¹insurrection somalienne, rapportons-nous au seul témoignage que nous avons plus glaner « Au départ, avant d¹être récupéré de diverses façons, l¹insurrection à Mogadiscio fut populaire, au sens plein du terme. Ce n¹est pas dire que, spontanément, déflagration sans étincelle, elle serait venue de rien et de nulle part. Au contraire : insurrection collective résultait d¹un trop-plein de souffrances et de violences collectives. Irrespectueuse des officines politiciennes, elle est préparée, pour l¹essentiel, dans les quartiers, dans les pâtés de maisons, dans chaque cour intérieure. Inutile alors, de traquer les « meneurs », trop nombreux, de chercher le grand chef d¹orchestre d¹un soulèvement réglé comme du papier à musique. La partition était écrite comme un palimpseste : par surimpression. Il y avait des réseaux de tous ordres, familial, clanique, religieux, des réseaux de voisinage, d¹affinités politiques ou, non négligeable de femmes engagées. Tous ensemble dans un désordre synergétique, ils ont fait vivre le « front » : en apportant aux jeunes combattants nourriture, armes et munitions, en s¹occupant des blessés, en accueillant des parents et, surtout, des enfants restés seuls, en trouvant des véhicules et du carburant. Pendant quelques semaines, sous les bombes, Mogadiscio a vécu une sorte de socialisme de guerre ou, pour qui préfère la solidarité oblative des catacombes. Ce n¹était pas moins héroïque parce que, fatalement, éphémère. Qui s¹en est souvenu quand, plus tard, les médias du monde entier ont brossé le portrait d¹une Somalie terre à butin, habitée par des nomades ataviquement querelleurs, des fous du clan, des racketteurs assoiffés de sang et des lâches seigneurs de guerre ?  », C¹est Stefan Smith qui parle, journaliste à Libération à l¹époque, qui loin d¹être un prophète du chaos révolutionnaire (il est plutôt partisan de l¹action humanitaire et défenseur de l¹Etat mais de droit, bien sûr) est forcé de constater le caractère autonome de la révolte des Somaliens en ce mois de janvier 1991. La prise de la Villa Somalia fut d¹ailleurs l¹expression de ce mouvement. « A la villa Somalia ! », c¹est avec ce cri de ralliement, que la foule de Mogadiscio, grossissant peu à peu, s¹est dirigée vers le QG de Siad Barré. Pourquoi ce jour ? cette heure ? L¹alchimie de la révolte à ses capricesŠ Depuis des semaines des jeunes combattants nourrissent de salves la Villa Somalia. Sans succès. La foule augmente et s¹aguerrit. Vers 17h, elle arrive à la Villa, sur le front. Au début, on se met à l¹abri, derrière le premier mur venu. La foule continue de grossir, ce sont les femmes (comme souvent dans ces cas-là) qui se mettent face aux sbires de Siad Barré, elles les invectivent, les insultent. Des tirs fusent, mais les femmes reviennent, raillent ceux qui restent planqués, et hèlent les soldats. L¹ambiance se fait lourde. Le massacre des rafales pourrait étouffer cette révolte insolente. Il n¹en est rien, alors sortent les combattants. Soutenus, poussés, épaulés par la foule, ils entourent la Villa Somalia. Les femmes jetent des pierres, la foule redouble de pression. La nuit tombée les premiers combattants escaladront l¹enceinte, la foule s¹empare de la Villa Somalia ! Mais vingt minutes plus tôt Siad Barré avait fui son QG, la villa est videŠ A ce moment-là, tout est dépouillé dans le palais du président. Ce qui n¹est pas volé est détruit, comme le portrait géant de l¹ancien homme fort. On peut imaginer l¹euphorie de ce moment. L¹Etat n¹est plus, et son remplaçant non plus. Après cela, la guerre et la division clanique ont été une volonté pour laminer l¹esprit de révolte et la capacité d¹imagination des masses. Par exemple lorsque le groupe des Ashamud ­terme qui veut dire les mélangés- qui est donc une guérilla mixte où l¹on trouve des Hawiyé, des Issak et des Darod, lorsque ce groupe arrivé en janvier 1991 dans Mogadiscio fut sommé de se dissoudre et chacun de rejoindre son clan et ainsi de diviser toute opposition qui va au-delà des partitions du pouvoir par le clan. De même les Mooryaan seront sans cesse la cible des nouveaux pouvoirs. Mooryaan cela veut dire quelque chose entre « pillard », « déshérité » et « vermine ». Ce terme était celui de l¹ancien régime pour désigner les fauteurs de troubles, la jeunesse en pleine rébellion le revendiqua. Jeunesse des quartiers c¹est elle qui prit la Villa Somalia, c¹est elle qui avait tenu le front face à l¹armée dans Mogadiscio en insurrection. Elle vit du pillage, crée ses propres solidarités. Elle sera peu à peu réprimée après avoir été en première en ligne de mire de Siad Barré, élément gênant dans l¹ordre du pouvoir. Le pouvoir vacant, les masses de Somalie n¹auront pas les moyens d'aller plus loin. Va alors s¹ensuivre une lutte pour le pouvoir entre une multitude de chefs de guerre. C¹est alors le prix à payer pour stabiliser la société somalienne, les régulateurs n¹existant plus, pas même les traditionnelles assemblées de la culture somali. Ainsi nous avons le MNS au Nord, le MPS au Sud et le CSU à Mogadiscio. Le premier accrochage ne se fait pas attendre, puisque le 28 février, Aïdid et Nur se contestent le contrôle de Radio-Mogadiscio. La situation reste troublée, le 27 janvier, Mohamed Bod lance sur les ondes un « appel au calme et à la discipline » ; ceux que l¹on nomme facilement des « pillards professionnels » s¹en donnent à c¦ur joie. Ces pillards, la masse de la population de toute évidence, iront jusqu¹à faire le siège de Kismayo (gros port au sude de Mogadiscio) début février. Chaque guérilla va stabiliser son pouvoir dans son territoire, et renforcer son influence dans son/ses clans. Au nord du pays, le Somaliland va déclarer son indépendance. A Mogadiscio, la partition de la ville va se faire avec Mahdi au Nord et Aïdid au Sud (tous deux sont du même clan, et du CSU qu¹Aidïd finira par contrôler). Aïdid va devenir l¹homme fort en contrôlant les trois/quart de Mogadiscio, notamment grâce à l¹aide humanitaire. MSF, pour pouvoir intervenir, choisit d¹être sous la protection d¹une bande armée (celle d¹Aidïd en l¹occurrence via Osman Ato). Dès le début l¹humanitaire participe à la guerre. En étant protégé par des MadMax qu¹il loue, l¹humanitaire choisit un clan et le renforce. Cela donne un poids politique aux chefs de guerre qui ont ainsi un levier sur l¹aide. Cela remplit un besoin économique, en louant madmax et maisons, les organisations humanitaires créent d¹importantes rentrées d¹argent pour les bandes armées. La Somalie est dans ce que l¹on appelle communément le chaos, pour beaucoup elle vit par et pour le qât, drogue à chiquer qui arrive quotidiennement du Kenya. En juillet 1991, une « conférence nationale de toutes les tendances » se tient à Djibouti. Mahdi est alors investi comme « président par intérim ». Aidïd ne reconnaît pas, lui, cette « autoproclamation » et cette conférence qui ne rassemble pas tout le monde. Du 6 au 9 septembre éclate alors la guerre de 4 jours. Les factions pilonnent la ville et font des centaines de morts. Ces quatre jours seront rapidement suivis par la seconde bataille de Mogadiscio de novembre 1991 à février 1992. N¹oublions pas que dans cette guerre de clans et de sous-clans, que dans ce règlement de comptes opaque entre lignages, se joue le contrôle de l¹économie et du territoire. Après l¹insurrection, les guérillas ont repris le contrôle. Les clans ­tous sont de la même ethnie- se sont affrontés. Une fois battue toute idée de révolte, il faudra encore massacrer les populations pour connaître qui détient le leadership. Il ne faut pas oublier non plus que se sont les commerçants et les hommes d¹affaires qui financent ­et donc poussent- la guerre. C¹est bon pour le business. Et là où s¹étend l¹influence d¹un chef de guerre que l¹on finance, les affaires prospèrent. Comment la guerre pourrait alors s¹arrêter ? Et comment mieux illustrer la logique anthropophage du capital ? Pourtant les conflits entre clans ne peuvent se comprendre qu¹en y décelant les oppositions entre citadins et paysans, commerçants et agriculteursŠ Bref le rôle social du clan est le moteur des confrontations. Au-delà du problème de lignage, la Somalie est dans de tragiques soubresauts pour la définition, la redéfinition, de sa dynamique sociale, de son organisation sociétale. Les nomades ont été complètement laminés par l¹économie durant les années 80, la classe dirigeante est à juste titre discréditée. Alors que faire ? Les chefs de guerre s¹occupent alors de la gestion des territoires, et les hommes d¹affaires de la gestion du capital. Les clans ne sont là que comme repère dans cette répartition, dans cette vivacité entrepreneuriale du capital. Tout le monde est à sa place. Malgré l¹horreur, la situation finira par se stabiliser, chaque clan tenant son territoire comme acquis. L¹envoyé spécial de l¹ONU fit même une proposition de sortie de crise qui resta lettre morte. M Shahoun donc, constatant la stabilisation militaire, propose de relancer l¹économie par l¹échange commercial. Rien de bien original, diriez-vous. Concrètement Shahoun propose de vendre l¹aide humanitaire aux réseaux commerçants, ce qui donnerait plus de pouvoir à des entrepreneurs plutôt qu¹aux chefs de guerre. Car si ces derniers sont financés par les premiers, ils commencent aussi à être de sérieux concurrents. Et puis cela permettrait de relancer, de consolider le marché ; de réassainir le capital avec de nouveaux investissements. Et d¹ainsi de revenir à une configuration plus connue de l¹extraction de la plus-value. Shahoun rentrera dans ses pénates avec sa proposition dans ses cartons. La communauté internationale a besoin d¹un coup d¹éclat pour rétablir l¹Etat. Que certains ont la gageure de nommer espoir. « Vous avez aimez Beyrouth, vous adorerez Mogadiscio » un diplomate américain. Le 9 décembre 1992, c¹est le fameux débarquement américain sur les plages de Mogadiscio. Joli spectacle militaire relayé sur les écrans du monaAu-delà de la fumisterie du combat militaire qui n¹avait alors pas lieu, l¹arrivée des troupes US avait alors été négociée avec les deux principaux chefs de guerre. Le 7 décembre, R.Oackley ­diplomate américain- et F. Libutti rencontrent Aidïd et Mahdi, ils leur assurent que cette expédition revêt un caractère « humanitaire » et s¹assurent avec eux que le débarquement puisse se dérouler sans confusion. Les deux warlords appelleront à leur radio à la coopération, au calme et à une « chaleureuse bienvenue ». Les chefs de guerre confortés dans leur pouvoir ne craignent pas cette intervention, au contraire ce sont des partenaires. Alors, pourquoi cet engagement, alors que la situation a eu le temps de pourrir et de se rétablir plusieurs fois ? Les enjeux réels, les intérêts directs semblent difficiles à cerner. Certes la Somalie est un carrefour stratégique, proche des Etats du Golfe, elle est sur la route d¹un des principaux itinéraires pour acheminer le pétrole en Occident. Pour George Bush sénior, alors président des Etats-Unis au plus mal dans les sondages, ce serait l¹occasion de se refaire une santé avec une intervention extérieure, à l¹image de la réussite médiatique de la guerre de Golfe. Cette intervention a aussi valeur de test, notamment dans le projet d¹intervenir dans les Balkans. On est aussi dans une période de propagande pour une nouvelle image de l¹armée, le GI n¹est plus celui qui napalme la population, mais celui qui lui amène du riz. Ce que l¹on peut voir aujourd¹hui, c¹est que dans ce monde, l¹hégémonie capitaliste ne laisse pas de terrain vague possible. Même dans des endroits que l¹on pourrait penser « perdus », sans perspective de « développement », les armements militaires et économiques les plus sophistiqués y interviennent. La communauté internationale a absolument besoin de son modèle, et l¹impose partout. Le but des Occidentaux, donc, est de reconstruire un Etat en Somalie. Objectif difficile, il n¹y a plus d¹administration, de police, etc., sur quoi s¹appuyer. De plus, la structure de l¹Etat-Nation n¹est pas en adéquation avec la réalité sociale somalienne. Mais pour l¹ONU, c¹est le seul modèle possible et elle préfère alors imposer son modèle de régulation, même au prix du chaos. Pour finir le capital qui se développe en Somalie diffère de celui des pays riches. Finalement, Restore Hope, amène à ce que les USA quadrillent certaines routes. Pour les Blancs, essentiellement les associations humanitaires, il n¹est plus possible de se déplacer qu'uniquement avec les escortes militaires. Les associations humanitaires sont alors complètement vassalisées à l¹état-major américain. En cela les 38 000 soldats américains et autres français, italiens, etc. n¹ont fait que se substituer aux madmax des chefs de guerre. Ce qui n¹est pas sans créer des tensions. Et qui fera dire à un garde du corps d¹une association humanitaire : « Si l¹UNICEF nous licencie, on leur fait sauter la cervelle ! », cela illustre bien le rapport économique qui lie les Somaliens et les forces d¹interventions (humanitaires ou militaires). Autre exemple, un soldat belge à Kismayo témoigne qu¹au début la population leur était hostile. Ensuite ils ont commencé à faire du troc et autres échanges commerciaux avec la population, la suite fut alors beaucoup plus calmeŠ Pour autant le déploiement de forces armées ne se fait pas sans tension. Une attitude de conquérant ne peut que froisser la population, comme le résume ce témoignage : « Les Américains agissent en Somalie comme s¹ils étaient chez eux. Ils essaient d¹appliquer leurs lois. Regardez, ils commencent à brûler tout le qât qu¹ils trouvent. Pour eux, cette herbe que nous mâchons tous est une drogue qui rend fou les Somaliens, à partir de 5 heures du soir. Mais c¹est une tradition millénaire ici que de brouter du qât tout l¹après-midi. Les Américains peuvent critiquer Aidïd et Mahdi. Mais ils se prennent eux aussi pour les maîtres de Mogadiscio. » Bien sûr il y a eu des conférences et autres sommets pour la paix et la réconcialitation. Mais comme toujours c¹est en signant des bouts de papier au bout de 15 jours, alors que dans la tradition somalienne les palabres durent des mois pour que sorte un accord qui là est respecté. La situation en est là quand en juin 1993 l¹ONU prend le relais des USA avec ONUSOM II. Le but de l¹ONU de recréer un Etat centralisé, de remettre une police et une justice à Mogadiscio (10 milliards de dollars sont injectés pour cela), semble improbable. Aidïd de son côté ne cesse de fustiger les Occidentaux comme de néo-colons. Durant 5 mois, il tente des accords de paix ­sans passer par l¹ONU- il laisse tomber l¹idée d¹une administration unitaire et accepte la sécession du Somaliland. Aidïd est autant un chef de guerre et un exploiteur de son clan que Mahdi, Morgan et cie, par contre l¹ONU et les USA ne peuvent accepter qu¹ils dédaignent leur rôle. Aidïd a toujours soutenu que « la guerre est l¹affaire des Somaliens. ». Autre exemple, l¹ONU a menacé d¹envahir le Somaliland s¹il refusait la paix proposée par Š l¹ONU. Aidïd se sentant isolé par les proches rapports de Mahdi et des Occidentaux ne pliera pas. Le 5 juin 1993, lors d¹une émeute, 24 casques bleus pakistanais se retrouvent sur le carreau. L¹ONU emploie alors les grands moyens militaires pour chasser Aidïd, raid par hélicoptère, bombardements de quartiers entiers, d¹hôpitaux, etc. Les casques bleus font la guerre, tout simplement. Des manifestations se succèdent. Le 13 juin, au rond-point du km 4, les casques bleus tirent sur une manifestation, bilan : 14 morts. La « guerre humanitaire » durera de juin à octobre 93. Le Pentagone estime ce conflit à une dizaine de milliers de morts. Aidïd a beau jeu de condamner l¹ONU et ses « motivations totalitaires », son « usage incontrôlé de la violence » et « l¹arrogance d¹une instance supranationale soumise à aucun contrôle. ». Quelques revers militaires et plusieurs dizaines de morts feront prendre la décision aux USA et à l¹ONU de quitter la Somalie. Ce départ aura lieu courant 1994 et 1995. Avec les grands moyens sortis avec l¹opération « Bouclier unifié »pour le départ complet des troupes. Pour autant il est évident que les puissances occidentales ne peuvent que continuer à tenter de contrôler la situation. Et comme le dit un témoin anonyme à Mogadiscio le 4 mars 1995 : « Les Blancs reviendront à cause de notre pétrole et de notre position stratégique près du Golfe. » « L¹effondrement de l¹Etat favorise les affaires. Par de nombreux côtés, c¹est bien mieux comme ça. Avant, c¹était le règne des monopoles publics, de la bureaucratie et de la corruption. » Abdirazak Osman, entrepreneur somalien. Alors, quid de la Somalie, « livrée à elle-même » à partir de 1995 ? La Somalie depuis est un pays sans Etat. D¹abord le Somaliland puis le Puntland ont fait sécession. La République de Somaliland est indépendante depuis son auto-proclamation en mai 1991. Cette république qui a président, gouvernement, parlement, police, code pénal, monnaies et douanes n¹a jamais été reconnue par la communauté internationale. Sa population est estimée à 3 millions d¹habitants et les Issaks forment le clan majoritaire. La population vit de l¹élevage et de son commerce, principalement avec les pétro-monarchies du Golfe. La source principale du gouvernement est le port de Berbera, utilisé pour le transit des marchandises en provenance ou à destination de l¹Ethiopie qui ne dispose plus de débouchés maritimes depuis l¹indépendance de l¹Erythrée en 1993. Le pays est en voie de dollarisation grâce aux sommes rapatriées au pays par une diaspora estimée à 500 000 personnes. Cette indépendance est considérée par le gouvernement de Somaliland comme irrévocable, il ne reconnaît pas le GNT en place à Mogadiscio depuis 2000. Son territoire décèlerait d¹importants gisements diamantifères et pétroliers, mais les investisseurs ne veulent pas se risquer en Somaliland tant qu¹il n¹a pas d¹existence reconnue. Le reste du pays est toujours plus ou moins divisé entre les factions armées. Il n¹y a pas d¹Etat en Somalie, pas de douane, d¹administration, de poste, de police etc. Une seule loi reconnue universellement y règne, la loi du marché. On peut changer des dollars US contre des shillings somaliens, malgré l¹absence de banque centrale. Il y a 22 chaînes de télévision à Mogadiscio, il suffit de louer un téléphone satellitaire pour communiquer dans le monde entier, et tout s¹importe dans un port somalien. Bien sûr il faut avoir de l¹argent pour atteindre quoi que ce soit. Et seules les lois du marché régulent l¹offre et la demande. On approche de près le capitalisme théorique de la concurrence pure et parfaite. Investisseurs et entrepreneurs sont comme des pionniers, comme le notait le Nouvel Afrique Asie  en 1995 : « (Š) Somalie pays à oublier pour la diplomatie et pays à découvrir pour le capital ». On a donc affaire à une économie cohérente ; les inégalités trop accrues créées sont compensées par les solidarités familiales. L¹optique de refonder un Etat centralisé semble chimérique. Comme nous l¹avons vu les chefs de guerre ont assuré leur pouvoir dans leur zone. Aucun n¹a les moyens de tenir un Etat sur l¹ensemble du territoire, le chaos et l¹éclatement assurent leurs acquis. Le GNT ­gouvernement national de transition- influencé en partie par les islamistes, n¹est reconnu que par ses partisans. Les islamistes sont apparus dans le paysage politique somalien en 1994, au début par des « tribunaux islamistes ». Ils coupent la main des voleurs et tutti quanti, le but est de rétablir l¹ordre dans les quartiers où ils sont actifs. On retrouve donc les islamistes dans leur rôle historique ­comme en Iran pendant la révolution, en Algérie après les émeutes de 88 ou en France dans les zones urbaines- de répression et d¹encadrement des masses. Il y a bien des résistances, par exemple quand un tribunal contre « l¹union libre et l¹indécence » est constitué, un couple de Mooryaan s¹auto-désigne. Un attroupement est alors provoqué, sous la pression populaire l¹affaire est classée sans suite. Malheureusement ce type de résistance ne s'est pas assez répété, et les tribunaux islamistes semblent s¹être implantés. Par contre la tentative d¹infiltrer les clans par Al Iltihad ­association caritative financée par l¹Arabie Saoudite- fut un échec complet. Les islamistes n¹ont ni ministère, ni milice, par contre l¹association saoudienne Al Ilthihad a beaucoup de moyens et un certain poids. Les islamistes utilisent leurs moyens humanitaires pour influencer la société somalienne. Par exemple, cette association n¹apporte son aide que si les femmes portent le voile. Ce qui marche, encore une fois, cela ramène les rapports avec la population à un strict lien économique. Nous avons donc le CSRR qui regroupe les chefs de guerre et le GNT de Salat Massam d¹un côté. Bien sûr la communauté internationale, après son départ militaire, reste sûrement présente. Le pentagone voit le vide juridique de la Somalie comme un havre pour les islamistes. Il y a bien sûr toujours des conférences pour monter un gouvernement en Somalie, mais outre les sécessions difficiles à reprendre, comme le notait la très radicale (sic) « Lettre de l¹Océan Indien » en juillet 2000 à propos de la conférence d¹Arta : « (Š)Si le gouvernement somalien concocté à Arta n¹est qu¹un mixage de diverses équipes gouvernementales d¹avant 1990, il est prévisible qu¹il sera rejeté par bon nombre de Somaliens. Toute tentative pour leur imposer suscitera des troubles y compris dans des zones calmes. » ; Les masses de Somalie ne seraient pas encore totalement matées. De part sa place stratégique, passage de la mer Rouge près du Golfe; zone d¹influence des islamistes ­concurrents capitalistes les plus agressifs- qui forme une tenaille avec le Yémen ; modèle économique contraire à l¹ordre international ; voilà quelques raisons pour que le leadership du capital surveille cette zone, et nous la rappelle un jour à notre mémoire. Comme le notait un spectateur de la première projection de La Chute du Faucon Noir à Mogadiscio : « Dans ce film, on ne voit que des Américains ; ils sont tous présentés comme des héros, et les Somaliens on ne les voit que le temps d¹une rafale de kalachnikov. (Š) Mais le véritable message du film nous l¹avons compris. Les Etats-Unis reviendront bientôt à Mogadiscio. » Pour autant, il n¹y a pas de raisons de sombrer dans le fatalisme de l¹incompréhension. Soit en se disant que tous ces enjeux géopolitiques nous dépassent (certes) et nous sont incompréhensibles, que de toute façon il ne nous est pas possible de les aborder. C¹est pour arriver à cela que l¹on nous bassine avec des bataillons de spécialistes à la platitude alambiquée. Soit incrédule face à la barbarie étalée, se dire que malgré tout une intervention humanitaire et/ou militaire occidentale sera toujours mieux. Evidemment, nous n¹avons pas trouvé de discours conscient de la classe exploitée somalienne. Il n¹y a pas non plus de cadre militant pour régir, réglementer et porter un quelconque média de la contradiction. Et ça c¹est sûrement tant mieux. Pourtant les masses se sont parfois exprimées, comme lors de l¹insurrection de Mogadiscio, qui durant deux mois s¹est organisée, de manière horizontale, au-delà des clivages claniques. Pas de mythification ici, la Somalie fait partie du marasme que ce monde engendre. Les concurrences entre groupes constitués (ici souvent claniques) omnibulent et aliènent towut un chacun. Pourtant, les stratégies du pouvoir ne se balayeront pas par des v¦ux pieux ou des organisations internationales qui en font partie. Alors à nous de ne pas tomber dans le fatalisme, mais d¹essayer d¹entendre ce qu¹ont à nous dire les prolétaires de Somalie. Nestor Mooryaan Pantruche. nestor.pantruche@internetdown.org