QUELQUES REFLEXIONS SUR LES RECENTS EVENEMENTS DE PRAGUE

1.Les bénéficiaires les plus probables des actions de Prague sont le Mouvement Ecologiste au sens large, c’est-à-dire les carrières des individus et des groupes ou partis qui représentent toutes sortes de politiques écologiques. ( J’ai utilisé le terme " Mouvement Ecologiste " de façon à souligner quelle est l’origine de ce mouvement, ce qui est également une indication quant à sa direction finale.)

2.Récemment le Mouvement Ecologiste est passé à la vitesse supérieure. Il a repris la vieille idéologie de l’ " anti-impérialisme " (qui est une position politique qui soutient la libération nationale) et l’a subtilement modifiée si bien qu’on peut maintenant l’appeler " anti-grosse corporation ", ou " anti-finance ", ou " anti-multinationale " et même " anti-capitaliste ". Le Mouvement Ecologiste est allé au-delà de notions assez vagues de " sauver la planète " pour entrer maintenant sérieusement dans la politique mondiale. Sans doute influencés par le travail de personnes comme Noam Chomsky, ces écologistes identifient maintenant la plupart des pires aspects de la vie sur cette planète comme étant attribuables aux actions de la classe dirigeante américaine. Comme les Etats-Unis sont le pays le plus puisant militairement et économiquement au monde, cette analyse a un élément de vérité ! Pourtant (et cela concerne aussi Chomsky) les Ecologistes perçoivent l’antidote à l’hégémonie américaine comme des formes d’autodétermination nationales à travers le monde (malgré leur discours sur les " communautés " et le " localisme ") et la déstitution des tyrans à la solde des USA dans des pays où il n’y a pas de démocratie et où l’économie est très fragile et instable.

3.Le Mouvement Ecologiste a développé une stratégie économique globale basée sur l’autodétermination nationale. Chacun peut avoir une opinion sur les conséquences de cette politique. Mon idée, c’est que le Mouvement Ecologiste pourrait commencer à créer des partis politiques globaux. C’est plutôt ironique pour des supporters " anti-globalisation " pour la libération nationale / anti-impérialisme. Mais, si le système économique mondial est maintenant de plus en plus perçu comme étant " global " (dans un sens impérialiste plutôt que dans l’idée que nous vivons tous dans la même économie et dans la même société de classe), alors les sauveurs radicaux du capitalisme arriveront avec des idéologies globales et des pratiques globales, tout comme l’a déjà fait le Mouvement Ecologiste (Greenpeace et les Partis Verts sont l’embryon de l’Eco-Parti International). Maintenant qu’ils se sont écartés d’une perspective strictement écologiste, il y aura bien plus de possibilités pour une coopération entre les leaders théoriciens et militants du Mouvement Ecologiste et leurs amis de par le monde. Le Mouvement Ecologiste peut maintenant s’identifier avec un mouvement de Démocratie mondiale. A son bord, on compte déjà plusieurs des intellectuels radicaux libéraux qui entourent les personnes telles que Noam Chomsky. Dans les années à venir, nous pourrions avoir le même parti politique au pouvoir dans différents pays. Des partis avec les mêmes membres, les mêmes constitutions, le même Président (ou une Présidence Collective), etc.
Tout cela n’est pas juste une idée qui sort de nulle part. Le Mouvement Ecologiste essaye de retourner et de " combattre " (ou de bénéficier de) ce qu’il perçoit comme la " globalisation " de l’économie et l’hégémonie américaine. Alors que la " globalisation " n’est pas nouvelle, il est peut-être temps de modifier la façon qu’a le Capital de gérer (ou de manipuler) le prolétariat mondial (spécialement dans le " tiers-monde ") durant la guerre froide, les classes dirigeantes ont su bénéficier pour leurs affaires intérieures étrangères des " affrontements " des deux blocs. Le Mouvement Ecologiste va aider le capitalisme à apparaître comme bien plus gentil, en offrant la perspective et l’espoir d’un monde démocratique où chaque nation travaillera ensemble sur un plan d’égalité (tout en s’assurant, bien évidemment, que les prolos restent bien en dessous et qu’ils ne polluent pas la campagne). Cette démocratie et autodétermination nationale servira bien sûr les intérêts des classes dominantes des Etats-Unis et de l’Europe Occidentale, mais les Ecologistes et consorts mettront longtemps à s’en apercevoir, et quand ils le réaliseront ils le tairont.

4.Le Mouvement Ecologiste (et le projet de démocratie/autodétermination nationale) est un lézard qui a fait sa mue et qui sort tout droit du cœur du capitalisme américain et d’Europe Occidentale. Ce lézard a le visage (ou est-ce le " logo " ?) de Naomi Klein (de " No Logo "). Le capitalisme a tellement de bons amis prêts a lui rendre service et à l’aider quand les temps sont difficiles qu’il n’a jamais à s’inquiéter de sa survie.

5.L’ " anti-impérialisme " est devenu " anti-capitalisme " à cause de la confusion des concepts de " capitalisme " et de " capital financier ". Si le capital financier est le mode dominant de capitalisme, alors s’y opposer pourrait être de l’ " anti-capitalisme ". Demander l’annulation de la dette du " tiers-monde " devient une exigence " anti-capitaliste ". Mais en réalité, le capitalisme s’appuie toujours sur le travail des producteurs (la classe ouvrière) à travers le monde. Si rien n’est fait dans les conditions économiques actuelles, alors il n’y a pas de le capital financier qui circule à travers le monde. Dans le monde des " anti-globalistes ", tout ce qui est mauvais a à voir avec la façon dont l’argent est utilisé au niveau mondial, et la solution est de changer la façon dont l’argent est utilisé, c’est-à-dire de le repartir plus équitablement. A aucun moment ils ne remettent en question le moteur même du capitalisme, c’est-à-dire la production pour le profit et la position de la classe ouvrière. En fait le capitalisme est promu et agité en tant que sauveur des pays " pauvres ", parce qu’une fois qu’ " ils " seront libérés de leur dette, ces pays pourront construire leur économie. Pour le moment, disent les " anti-globalistes ", les pays " pauvres " ne peuvent pas le faire, et bien sûr, ils ont raison. Mais argumenter en faveur de tels changements économiques et politiques dans les affaires mondiales n’est vraiment pas anti-capitaliste.

6.Le pas en avant qu’a fait le Mouvement Ecologiste dans la théorie politique (c’est-à-dire, réclamer l’ " anti-impérialisme ") est probablement dû en partie à l’implication de beaucoup de militants de la gauche qui ont étés attirés par les luttes " écologistes " dans le monde. Depuis maintenant des décennies, les " anarchistes " ont gonflé les troupes de choc du Mouvement Ecologiste. Cela est particulièrement apparent en ce moment, où des anarchistes de partout se battent contre la police et trashent des MacDonalds comme un rituel, tandis que les porte-parole du Mouvement Ecologiste (dont l’INPEG) disent qu’ils " n’approuvent pas la violence, mais cela révèle l’humeur actuelle et si vous ne nous laissez pas en position de pouvoir, cela ne risque que de devenir encore plus incontrôlable. "

7.Ainsi les participants anarchistes à Prague agissent peut-être comme des petits soldats du Mouvement Ecologiste et aident activement à la création d’élites politiques dont le seul but (à part le pouvoir et la gloire) est d’aider le capitalisme à mieux fonctionner. Si vous vous penchez sur le contenu du Contre Sommet de l’INPEG, vous verrez qu’il est dominé par des discussions dirigées par des expert libéraux académiques (bourgeois radicaux) qui parlent non pas en faveur de la destruction de l’économie, bien sûr, mais pour sa ressuscitation.
Ils sont sans doute de bonne volonté. Mais la classe ouvrière mondiale en a assez de la bonne volonté !

8.Une contribution intéressante à ce Contre Sommet vient de la part de représentants du Movimento Sem Terra (MST), le Mouvement des Paysans sans Terre du Brésil. Ce que représente le MST (et sa vision de la " théorie de la dépendance ") est probablement à l’origine de ce qu’on est en train d’essayer d’atteindre avec des actions comme le S26. Le MST est une organisation dont l’objectif est de réunir différents groupes (pas seulement des travailleurs ruraux) ensemble pour pouvoir changer la politique du gouvernement brésilien. Une organisation comme le MST a pu avoir un impact grâce à la misère croissante dont souffrent des secteurs de la classe ouvrière brésilienne. Ces dernières années, les petits producteurs ont étés très durement touchés par des revenus de plus en plus bas, des taux d’intérêts croissants et par l’expansion des plus grandes productions. Cela a eu pour résultat de forcer des foules entières de travailleurs sans terre hors de la campagne. Le MST a réussi à plusieurs reprises à organiser et à maintenir des reprises de la terre et à affronter le gouvernement sur les décisions rurales et économiques. Maintenant, il essaye de monter un front uni avec les organisations urbaines et les syndicats. (Il est important de garder à l’esprit dans ce genre de situation, que les organisateurs, ici le MST, ont du " succès " grâce aux actions et au radicalisme des personnes qu’ils veulent organiser. Et ces personnes, ou masses, ont été mises en mouvement, ou radicalisées, par les conditions quotidiennes qu’elles doivent affronter, et pas par la " propagande " du groupe organisateur. Nous pouvons observer ce phénomène dans la formation de n’importe quel syndicat ou n’importe quel " mouvement " basé sur des véritables actions du prolétariat, comme pour Lotta Continua en Italie dans les années soixante-dix). Le MST utilise une rhétorique anti-capitaliste mais ne cherche pas à abolir le capitalisme, il cherche plutôt à contrôler les financiers et à changer la politique du gouvernement. Il cherche à mettre " les gens avant le profit ".
Une grande part de leur critique est dirigée vers l’impérialisme et spécifiquement l’impérialisme américain. Ce n’est un secret pour personne, bien sûr, que la classe dirigeante américaine est l’un des plus grands (si ce n’est pas le plus grand) protagonistes dans l’économie brésilienne, ainsi que dans la plupart de l’Amérique Centrale et du Sud. La politique du MST est donc spécifiquement anti-impérialiste, c’est-à-dire, anti-Etats-Unis, et, alors qu’ils n’ont pas l’air de prendre modèle sur le Léninisme affiché de Fidel Castro, ils l’admirent en tant que premier anti-impérialiste de la région. Le MST exige du gouvernement brésilien qu’il soit moins obéissant dans ses relations avec les Etats-Unis et ses corporations. Nous voyons donc que l’anti-impérialisme ici est la même chose que la libération nationale de la tyrannie américaine.
Des secteurs du prolétariat brésilien ont probablement déjà été en conflit avec la direction du MST, et si l’influence du MST continue à grandir, on peut s’attendre à encore plus de conflits d’intérêts. Alors que le but du MST est de " contrôler " le capitalisme, le destin des prolétaires est inévitablement d’attaquer par à-coups la base d’un tel projet. Les mouvements de libération nationaux (ainsi que les léninistes ou les maoïstes) à travers le monde ont toujours eu à faire face à des prolétaires qui ne se comportent pas de manière " raisonnable " et qui menacent l’ " effort national " quand ils se battent contre leurs patrons (nationaux ou locaux) ou qu’ils essayent collectivement d’en finir avec leur position d’esclave.

9.À l’heure actuelle, le capitalisme est menacé par les classes ouvrières de plusieurs pays " en développement ". La réaction des prolétaires pourrait bien devenir incontrôlable en effet, dans ces régions où l’appauvrissement est continuel et l’économie instable, avec un gouvernement inapte ou manquant d’autorité. Le MST est un " symptôme " de cette menace. Les têtes pensantes du mouvement " anti-globalisation " comprennent aussi clairement cette menace, c’est pourquoi ils mettent en avant des propositions sur " comment prévenir la crise " et qu’ils insistent pour que leurs voix soient prises en compte par ceux qui dirigent actuellement l’économie mondiale. " Placer les gens avant le profit " est un slogan qui est toujours trompeur et qui est utilisé par ceux qui (dans les faits) veulent sauver le capitalisme des conséquences de ses propres excès.

10.Comment est-ce que les véritables anti-capitalistes impliqués dans des actions comme celles du S26 devraient montrer leur présence ? Beaucoup de participants (les anarchistes inclus) auront avalé les mythes dominants de la Globalisation, du tiers-mondisme et de l’anti-impérialisme (sous son nouveau nom d’ " anti-capitalisme "). Si nous devons participer à ce type d’action, nous devons les critiquer, en distribuant des tracts, en parlant et en " attaquant " de toutes les manières possibles l’idéologie dominante et ses promoteurs. Si nous nous taisons, nous risquons de devenir les pions des têtes pensantes du mouvement et nous abandonnons la possibilité de convaincre des militants qui nous écouteraient, de considérer des perspectives et des positions plus communistes et réellement anti-capitalistes.
Il paraît clair que de véritables anti-capitalistes auraient dû arriver armés jusqu’aux dents de critiques contre l’INPEG. Maintenant, il est certain qu’après le S26, il devient impératif que les vrais anti-capitalistes attaquent sans remords l’idéologie et les pratiques de groupes comme l’INPEG. Toute critique raisonnable, ou radicalisante, réaffirmera une analyse de classe, c’est là que repose le véritable pouvoir de la classe ouvrière, et elle expliquera en quoi le prolétariat se positionne autant contre le nouvel ordre mondial proposé par les " anti-globalistes " qu’il l’est contre l’état actuel des choses.


PROLETARIAN GOB Sept/Oct 2000
[Membre de l’AF. AF, c/o 84b Whitechapel High Street, London E7]