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François Claudius Kœnigstein-Ravachol (Ravachol, un de ses surnoms, est le nom de sa mère) est né le 14 octobre 1859 à Saint Chamond (France, Loire). Le tribunal de Paris le condamne au bagne à perpétuité , pour ses attentats, le 26 avril 1892; puis la cour d'assises de la Loire l'envoie à la guillotine pour ses meurtres, le 21 juin suivant. La célèbre machine lui trancha le coup alors qu'il tentait de dire « Vive la Rév(olution)! ». Il eut quand même le temps de proclamer « Vive l'Anarchie! ». Miséreux, il devint anarchiste en comprenant que l'origine de la misère et de l'injustice se trouve dans la nature profonde de la société capitaliste et hiérarchisée. Le refus de son sort le conduisit à voler les riches, d'abord sans violence, puis avec assassinat. Révolté par l'injustice de condammnations à l'encontre de militants anarchistes, il dynamite en mars 1892 le domicile de leur juge et de son substitut. Mais, trahi par des propos tenus dans un café, il fut arrêté quelques jours après ces deux coups d'éclats. Symbole de la révolte anarchiste, il fut très populaire (cf La ravachole, sur ce site).
Il est n'est pas dans notre intention (et de toutes façons, cela est interdit par la Loi française) de faire l'apologie du vol et de l'assassinat des riches, même si les victimes de Ravachol ne furent pas de grosses pertes pour l'humanité. Toutefois, Ravachol était un homme d'une grande intelligence et la déclaration qu'il fit à son dernier procès constitue un grand texte anarchiste. C'est à ce titre que nous vous la présentons. En outre, ce texte permet de comprendre que la violence des anarchistes n'est pas dans l'essence de l'anarchie, mais résulte de l'influence de la société actuelle liberticide.
Les paroles suivantes sont la déclaration de Ravachol, lors de son procès, en juin 1892.
Si je prends la parole, ce
n'est pas pour me défendre des actes dont on m'accuse, car seule la société, qui
par son organisation met les hommes en lutte continuelle les uns contre les
autres, est responsable. En effet, ne voit-on pas aujourd'hui dans toutes les
classes et dans toutes les fonctions des personnes qui désirent, je ne dirai pas
la mort, parce que cela sonne mal à l'oreille, mais le malheur de leurs
semblables, si cela peut leur procurer des avantages. Exemple : un patron
ne fait-il pas des vœux pour voir un concurrent disparaître; tous les
commerçants en général ne voudraient-ils pas, et cela réciproquement, être seuls
à jouir des avantages que peut rapporter ce genre d'occupations? L'ouvrier sans
emploi ne souhaite-t-il pas, pour obtenir du travail, que pour un motif
quelconque celui qui est occupé soit rejeté de l'atelier? Eh bien, dans une
société où de pareils faits se produisent on n'a pas à être surpris des actes
dans le genre de ceux qu'on me reproche, qui ne sont que la conséquence logique
de la lutte pour l'existence que se font les hommes qui, pour vivre, sont
obligés d'employer toute espèce de moyen. Et, puisque chacun est pour soi, celui
qui est dans la nécessité n'en est-il pas réduit a penser :
Il y en a bien quelques-uns qui donnent des secours, mais ils sont
impuissants à soulager tous ceux qui sont dans la nécessité et qui mourront
prématurément par suite des privations de toutes sortes, ou volontairement par
les suicides de tous genres pour mettre fin à une existence misérable et ne pas
avoir à supporter les rigueurs de la faim, les hontes et les humiliations sans
nombre, et sans espoir de les voir finir. Ainsi ils ont la famille Hayem et le
femme Souhain qui a donné la mort à ses enfants pour ne pas les voir plus
longtemps souffrir, et toutes les femmes qui, dans la crainte de ne pas pouvoir
nourrir un enfant, n'hésitent pas à compromettre leur santé et leur vie en
détruisant dans leur sein le fruit de leurs amours.
Et toutes ces choses se passent au milieu de l'abondance de toutes espèces de
produits. On comprendrait que cela ait lieu dans un pays où les produits sont
rares, où il y a la famine. Mais en France, où règne l'abondance, où les
boucheries sont bondées de viande, les boulangeries de pains, où les vêtements,
la chaussure sont entassés dans les magasins, où il y a des logements inoccupés!
Comment admettre que tout est bien dans la société, quand le contraire se voit
d'une façon aussi claire? Il y a bien des gens qui plaindront toutes ces
victimes, mais qui vous diront qu'ils n'y peuvent rien. Que chacun se débrouille
comme il peut! Que peut-il faire celui qui manque du nécessaire en
travaillant, s'il vient à chômer? Il n'a qu'à se laisser mourir de faim. Alors
on jettera quelques paroles de pitié sur son cadavre. C'est ce que j'ai voulu
laisser à d'autres. J'ai préféré me faire contrebandier, faux monnayeur, voleur,
meurtrier et assassin. J'aurais pu mendier : c'est dégradant et lâche et
même puni par vos lois qui font un délit de la misère. Si tous les nécessiteux,
au lieu d'attendre, prenaient où il y a et par n'importe quel moyen, les
satisfaits comprendraient peut-être plus vite qu'il y a danger à vouloir
consacrer l'état social actuel, où l'inquiétude est permanente et la vie menacée
à chaque instant.
On finira sans doute plus vite par comprendre que les anarchistes ont raison
lorsqu'ils disent que pour avoir la tranquillité morale et physique, il faut
détruire les causes qui engendrent les crimes et les criminels : ce n'est
pas en supprimant celui qui, plutôt que de mourir d'une mort lente par suite de
privation qu'il a eues et aurait à supporter, sans espoir de les voir finir,
préfère, s'il a un peu d'énergie, prendre violemment ce qui peut lui assurer le
bien-être, même au risque de sa mort qui ne peut être qu'un terme à ses
souffrances.
Voilà pourquoi j'ai commis les actes que l'on me reproche et qui ne sont que
la conséquence logique de l'état barbare d'une société qui ne fait qu'augmenter
le nombre de ses victimes par la rigueur de ses lois qui sévissent contre les
effets sans jamais toucher aux causes; on dit qu'il faut être cruel pour donner
la mort à son semblable, mais ceux qui parlent ainsi ne voient pas qu'on ne s'y
résout que pour l'éviter soi-même.
De même, vous, messieurs les jurés, qui, sans doute, allez me condamner à la
peine de mort, parce que vous croirez que c'est une nécessité et que ma
disparition sera une satisfaction pour vous qui avez horreur de voir couler le
sang humain, mais qui, lorsque vous croirez qu'il sera utile de le verser pour
assurer la sécurité de votre existence, n'hésiterez pas plus que moi à le faire,
avec cette différence que vous le ferez sans courir aucun danger, tandis que, au
contraire, moi j'agissais aux risques et périls de ma liberté et de ma vie.
Eh bien, messieurs, il n'y a plus de criminels à juger, mais les causes du
crime a détruire! En créant les articles du Code, les législateurs ont oublié
qu'ils n'attaquaient pas les causes mais simplement les effets, et qu'alors ils
ne détruisaient aucunement le crime; en vérité, les causes existant, toujours
les effets en découleront. Toujours il y aura des criminels, car aujourd'hui
vous en détruisez un, demain il y en aura dix qui naîtront.
Que faut-il alors? Détruire la misère, ce germe de crime, en assurant à
chacun la satisfaction de tous les besoins! Et combien cela est difficile à
réaliser! Il suffirait d'établir la société sur de nouvelles bases où tout
serait en commun, et ou chacun, produisant selon ses aptitudes et ses forces,
pourrait consommer selon ses besoins. Alors on ne verra plus des gens comme
l'ermite de Notre-Dame-de-Grâce et autres mendier un métal dont ils deviennent
les esclaves et les victimes! On ne verra plus les femmes céder leurs appâts,
comme une vulgaire marchandise, en échange de ce même métal qui nous empêche
bien souvent de reconnaître si l'affection est vraiment sincère. On ne verra
plus des hommes comme Pranzini, Prado, Berland, Anastay et autres qui, toujours
pour avoir de ce même métal, en arrivent à donner la mort! Cela démontre
clairement que la cause de tous les crimes est toujours la même et qu'il faut
vraiment être insensé pour ne pas la voir.
Oui, je le répète : c'est la société qui fait les criminels, et vous
jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos
forces à transformer le société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes; et
votre œuvre, en s'attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que
n'est votre justice qui s'amoindrit à punir les effets.
Je ne suis qu'un ouvrier sans instruction; mais parce que j'ai vécu
l'existence des miséreux, je sens mieux qu'un riche bourgeois l'iniquité de vos
lois répressives. Où prenez-vous le droit de tuer ou d'enfermer un homme qui,
mis sur terre avec la nécessité de vivre, s'est vu dans la nécessité de prendre
ce dont il manquait pour se nourrir?
J'ai travaillé pour vivre et faire vivre les miens; tant que ni moi ni les
miens n'avons pas trop souffert, je suis resté ce que vous appelez honnête. Puis
le travail a manqué, et avec le chômage est venue la faim. C'est alors que cette
grande loi de la nature, cette voix impérieuse qui n'admet pas de
réplique : l'instinct de la conservation, me poussa à commettre certains
des crimes et délits que vous me reprochez et dont je reconnais être l'auteur.
Jugez-moi, messieurs les jurés, mais si vous m'avez compris, en me jugeant
jugez tous les malheureux dont la misère, alliée à la fierté naturelle, a fait
des criminels, et dont la richesse, dont l'aisance même aurait fait des honnêtes
gens!
Une société intelligente en aurait fait des gens comme tout le
monde!« Éh bien, puisqu'il en est ainsi, je n'ai pas à hésiter,
lorsque j'ai faim, à employer les moyens qui sont à ma disposition, au risque
de faire des victimes! Les patrons, lorsqu'ils renvoient des ouvriers,
s'inquiètent-ils s'ils vont mourir de faim? Tous ceux qui ont du superflu
s'occupent-ils s'il y a des gens qui manquent des choses nécessaires? »
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