La petite histoire orientale qui suit montre comment transformer un être puissant en une loque misérable et dégénérée. Au temps jadis, des moutons paissaient paisiblement dans un pâturage. Soudain, des lions surgirent de la forêt et se préci­pitèrent sur le troupeau. Cette prairie se retrouva empourprée du sang des moutons. Les lions s'installèrent, privant les mou­tons de liberté. Les moutons souffrirent énormément, étant à la merci des lions. Ils se réunirent pour parler de la situation. L’un d'entre eux, intelligent, sagace et astucieux, fit ces réflexions : «Par la force, nous ne pouvons pas échapper aux lions. Nous ne pouvons pas non plus nous transformer en lions. Mais par contre, faire du lion furieux un mouton, cela c'est possible! Le rendre inconscient de sa nature, cela c'est possible!» Les moutons acceptèrent de relever le défi. Le mouton inspiré se mit prêcher aux lions assoiffés de sang. Il s'écria : «Ô, vous, menteurs insolents, qui n'avez pas conscience de la damnation éter­nelle! Je possède le pouvoir spirituel. Je suis un messager de Dieu envoyé aux lions. Je viens comme une lumière pour l'œil obscurci. Je viens instaurer des lois et donner des ordres. Repentez-vous de vos actions blâmables! Ô, vous qui com­plotez le mal, pensez à votre bien! Celui qui est violent et brutal est un tyran. Les êtres justes se nourrissent d'herbe. Le végéta­rien plaît à Dieu. Vos dents pointues sont une honte pour vous. Le paradis n'est que pour les faibles. Il est mal d'aspirer au bien-être matériel! Les pauvres plaisent davantage à Dieu que les ri­ches. Au lieu de tuer des moutons, tuez votre moi et vous serez récompensés. Si vous n'oubliez pas votre moi, vous devez être fous. Fermez vos yeux, bouchez vos oreilles, fermez vos lèvres, afin que vos pensées puissent atteindre le plus haut du ciel! Ce pâturage n'est rien. Ne vous bercez pas d'illusions.» Ainsi parla le mouton rusé. Et ce qui devait arriver arriva. Les lions, épuisés par leurs durs efforts, commencèrent lentement à adopter la religion des moutons. Ils s'accoutumèrent à manger de l'herbe. Leurs dents s'émoussèrent peu à peu et le phosphore terrifiant de leurs yeux disparut. Petit à petit, le courage abandonna leurs cœurs. Ils perdirent le pouvoir de gouverner, ils perdirent leur réputation, leur prestige et leur fortune. Leur force corporelle diminua tandis que leur crainte spirituelle augmenta. La peur de la mort et du jugement divin les priva de courage. La peur produisit beaucoup de maladies jusqu'ici inconnues : la pauvreté, la pusillanimité, l'étroitesse d'esprit. Extrait : Le Principe Lo2la par René Egli